La bataille des plans de relance post Covid

Mai 6, 2021 | Tribune des experts, Tribune Marc Jacouton

Entre taxonomie verte et plan de relance, l’Union européenne s’engage dans une démarche volontariste d’ancrer les pays membres dans une politique économique durable et vertueuse pour infléchir une trajectoire mortifère. Si cet effort collectif est louable, c’est bien à l’échelle mondiale que se construit l’avenir de l’espèce humaine en mettant la sauvegarde du vivant au cœur de l’équation. Une refondation économique, sociale et écologique s’impose pour que cette crise serve à quelque chose.

La crise Covid a tout autant dévoilé la fragilité de notre espèce que la force de notre intelligence collective dans l’épreuve, en témoigne la robustesse de l’Europe, si souvent critiquée par son manque d’action commune et d’homogénéité. En un temps record, l’union des pays a permis de mettre au point des vaccins efficaces, une véritable prouesse mondiale qui montre à quel point l’être humain ne peut survivre qu’en privilégiant le collectif face à des défis environnementaux ou sanitaires qui dépassent de loin les pays. Laissons de côté, pour un temps, notre patriotisme économique, culturel et nos aspirations individuelles pour appréhender les enjeux mondiaux qui nous attendent, toutes civilisations et tous pays confondus. Le réchauffement de la planète, la raréfaction des ressources naturelles, la protection du vivant, de l’air, de l’eau et de l’environnement dans sa globalité : ces thématiques vont bien au-delà des intérêts souverains pour embrasser une cause mondiale transnationale où l’implication de tous ne sera pas de trop pour faire agir vite et fort face à ces défis vertigineux. Dans cette logique, pourquoi la fiscalité verte n’irait pas dans le même sens ?

Dans l’ère post-Covid à venir, la relance de l’économie par l’écologie se jouera nécessairement sur l’échiquier mondial

Taxonomie verte contre Greenwashing

C’est le parti pris par l’Union européenne qui, pour parvenir à la neutralité carbone à horizon 2050 et limiter le réchauffement de la planète à moins de 2° par rapport au niveau préindustriel, a mis en place une taxonomie verte dont les contours restent à préciser. En substance, l’on peut déjà avancer qu’elle définira un seuil d’émissions de C02 en dessous duquel les entreprises seront considérées comme vertes. Pour cela, elles devront répondre à au moins l’un des six objectifs de la finance verte : atténuer le changement climatique ou s’y adapter, faire un usage durable et protéger l’eau et les ressources, protéger et restaurer la biodiversité, assurer une transition vers une économie circulaire et prévenir et contrôler les risques de pollution. Au total, 70 secteurs d’activités représentant 93 % des gaz à effet de serre émis sur le territoire de l’Union sont concernés par ce texte. Cet outil de classification s’inscrit comme une véritable « boussole environnementale » a vocation à orienter les investisseurs, les entreprises et les promoteurs vers une stratégie économique et financière durable. Adopté par le Parlement européen en juin 2020, le règlement qui définit la taxonomie devrait, pour partie, entrer en vigueur partiellement dès la fin de l’année, puis dans son intégralité à la fin 2022.

Nouveau Green deal

L’engagement de l’Union Européenne dans la cause verte ne date pas d’hier. Faisant de l’écologie l’un de ses chevaux de bataille, la Commission européenne avait déjà proposé en décembre 2019 un Pacte vert pour l’Europe (Green Deal), financé à hauteur de 1 000 milliards d’euros sur 10 ans. Ce plan de croissance économique englobe toutes les politiques européennes (énergie, transports, agriculture, environnement, biodiversité et qualité de l’air) et les industries hautement émettrices de carbone telles que la sidérurgie et le bâtiment. Si l’urgence sanitaire de la pandémie a relégué au second plan ce pacte pourtant fondateur, le Plan de relance européen, articulé autour du Fonds de relance « Next Generation EU », doté de 750 milliards, vient remettre à l’honneur les travaux de la Commission européenne en matière d’écologie. Le budget européen 2021-2027 prévoit, en effet, de mobiliser 1100 milliards d’euros, dont un quart serait orienté vers des allocations pour la transition bas carbone. Avec de tels investissements d’avenir et une ambition soutenue par un financement à long terme, l’Europe vise un objectif de neutralité climat de l’Union européenne (UE) d’ici à 2050 : le premier continent neutre en carbone. 

La relance de l’économie mondiale par l’écologie

Dans une ère post-Covid à venir, la relance de l’économie par l’écologie se joue nécessairement sur l’échiquier mondial. Car si l’Europe relève le défi du collectif, elle ne peut faire cavalier seul dans une économie globalisée et sans frontière. Or, la proposition de la Commission européenne d’étendre le système d’échange de quotas d’émission carbone (ETS) à tous les grands secteurs émetteurs de gaz à effet de serre et aux produits d’importation hors UE ne sera pas sans effet sur les prix des biens et les chaînes d’approvisionnement. La mécanique de la taxe carbone aux frontières de l’Europe pourrait vite ressembler à une bombe économique. Taxer aux frontières de l’Europe les produits chinois ou américains considérés comme pollueurs, au regard de nos critères européens, apparaîtrait ni plus ni moins comme une forme de dumping environnemental. Pourtant l’enjeu de l’Europe est d’être celui qui fixera les règles.  À l’heure où les grandes puissances mondiales se livrent à une compétition féroce par plans de relance interposés (1900 milliards d’euros pour les États-Unis, 500 milliards d’euros pour la Chine), elles sont pourtant les plus à mêmes d’enclencher une mécanique durable, globale et vertueuse en faveur de la planète. Raison plus pour conforter les règles du libre-échange afin de favoriser les coopérations entre États et ne pas verser dans une fiscalité aveugle et punitive. Exercice délicat. Mais c’est à ce prix et avec un alignement des intérêts mondiaux bien compris que la transition écologique mondiale pourra s’accélérer : la bataille des plans de relance aura bien lieu pour le meilleur et pour le pire !

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