La montagne sous cloche. Mis à l’arrêt depuis décembre dernier, le modèle économique des stations de sport d’hiver se fissure avec les restrictions Covid-19. La crise sanitaire a révélé les limites du tourisme de masse de « l’or blanc » et mis en exergue la nécessité de repenser et préserver la montagne pour réaffirmer sa vraie nature – authenticité, pureté, liberté – et ses vertus bienfaitrices de reconnexion pour l’Homme.
La montagne, l’un des derniers espaces de liberté que l’homme n’a pas encore (totalement) artificialisé, qui demande des efforts et de l’abnégation pour en atteindre les hauts sommets et découvrir des paysages uniquement accessibles à pied, après des heures de montée, va-t-elle redevenir sauvage ? La crise sanitaire a sonné le glas de la saison d’hiver 2020-2021, obligeant les stations de ski à fermer leurs infrastructures (remontées mécaniques, téléskis, etc.) et leurs lieux de restauration et de loisirs. La profession a connu une inédite année blanche qui, derrière la casse économique engendrée, soulève la question de la viabilité d’un modèle fragilisé par le réchauffement climatique et par les dérives d’un tourisme de masse peu respectueux de l’environnement et de la préservation des écosystèmes.
Le tourisme blanc s’enrhume
Rappelons que les sports d’hiver représentent chaque année une manne économique importante pour les territoires de montagne qui fait vivre un million de saisonniers. Pour compenser cette perte sèche, le gouvernement s’est engagé à renforcer les mesures de soutien pour la filière à travers un « Plan montagne » évalué à 4 milliards d’euros, Prêts garantis par l’État (PGE) inclus. Mais c’est sans compter les répercussions en chaîne sur tous les intermédiaires, le secteur hôtelier, la restauration et, au final, les communes elles-mêmes qui pâtissent du couvre-feu imposé aux stations depuis décembre dernier. Autres victimes collatérales de la crise : les propriétaires immobiliers, des particuliers qui ont investi dans un appartement à louer dans une résidence de tourisme, ont vu fondre leurs loyers (qui servent souvent à rembourser le prêt contracté pour l’achat du bien), faute d’occupation ou d’ouverture des établissements.
Cette crise sanitaire met en lumière les limites d’un modèle économique, imaginé dans les années 60, aujourd’hui à bout de souffle.
C’est aussi l’opportunité de sortir la montagne de sa définition réductrice de terrain de glisse et de jeux d’hiver pour touristes internationaux, au détriment du développement de la vie locale, quasi inexistante hors saison. Et si la Covid avait la vertu de nous faire redécouvrir la vraie nature de la montagne et de la débarrasser de ces hideux pylônes électriques qui défigurent les paysages et modifient la topographie des sols ? Dans l’urgence des fermetures et en s’appuyant sur des initiatives menées depuis déjà quelques années, les communes travaillent à développer de nouvelles activités qui ne seraient pas soumises à la saisonnalité et ne dépendraient pas de structures mécanisées.
Retour aux sources
Ainsi, promenades en raquettes, ski nordique ou de randonnée, alpinisme, ou encore, balades en chien de traîneau sont autant de façon d’appréhender les sommets avec un œil nouveau, en prenant le temps de l’effort physique retrouvé. Exit les pistes dévalées à toute vitesse, les files d’attente aux remontées mécaniques, le vin chaud avalé en trois gorgées avant de reprendre le téléphérique pour « rentabiliser » son forfait de ski pour la journée : renouer avec des plaisirs et des sports plus simples et ancestraux nous fait ainsi sortir de la pure consommation et apprécier, enfin, la beauté du monde autour de nous. Plus connectés à la nature, moins arrimés à nos smartphones, nous revenons aux origines de la montagne.
Un espace naturel et de liberté, désirable pour sa pureté de l’air, de l’eau et ses qualités ressourçantes.
Alors que les virus font désormais partie intégrante de notre vie, on imagine bien des stations de ski exploiter les atouts de leurs territoires en proposant une offre de loisirs centrée sur le bien-être, le bien-manger et la santé. Les opérateurs immobiliers ont d’ailleurs commencé à revisiter leurs concepts de location. Il est possible aujourd’hui de louer un chalet qui, dans les prestations proposées, devient un hôtel à taille humaine avec Spa, massages, piscine, conciergerie et restauration à la carte avec un chef à demeure. De la même façon, momentanément contraints de prendre nos repas à domicile, nous redécouvrons les joies de la convivialité et du fait-maison. Là où, par facilité, nous serions allés partager une raclette au restaurant, nous prenons finalement plaisir à aller acheter nos produits frais à la coopérative du village – faisant vivre, au passage, les producteurs locaux et non les centrales d’achat de la grande distribution- et à préparer le dîner chez nous, en famille ou entre amis.
La montagne, nouveau tiers-lieu
Afin de recréer cette vie sociale qui nous manque tant, les espaces de vie à la montagne devront alors gagner en volume, pour accueillir plusieurs familles. Les cages à poules, dans les barres d’immeubles en béton construites dans les années 80, cèderont leur place à de nouveaux tiers lieux confortables et conviviaux, mieux adaptés à une présence plus longue dans les intérieurs. Aussi, pour pouvoir répondre aux enjeux climatiques, sociaux et sanitaires, les collectivités de montagne doivent se réinventer et faire muter leurs modèles économiques. Plutôt que de continuer à proposer des appartements exigus à prix d’or à une clientèle de passage trois à quatre mois par an, elles gagneraient à construire des tiers lieux où l’on pourrait vivre à l’année, se divertir au grand air et redynamiser, ainsi, nos vallées aujourd’hui délaissées ou des territoires alpins devenus financièrement inaccessibles.
Réinventer la montagne en proposant de nouvelles expériences et faire vivre en même temps tout un territoire.
La généralisation du télétravail va rendre possible le souhait de certains salariés de quitter la ville pour la montagne quelques jours par semaine, si ce n’est totalement déménager, dans des espaces de vie en altitude. Une redensification de ces territoires assurerait le maintien, si ce n’est le retour, de services et d’activités économiques tombés en déshérence ces dernières décennies. Dans ce sens, la pandémie est une aubaine inattendue pour les habitants de ces départements. Enfin, ils vont pouvoir se réapproprier des zones trop longtemps préemptées par le tourisme de masse. En redevenant des bassins de vie, les communes de montagne possèdent les armes pour affronter les défis de demain, entre accès aux nouvelles technologie et naturalité, et faire de la montagne le dernier rempart contre l’artificialisation des sols et la destruction du vivant. Il en va de survie de nos montagnes et de la désirabilité de celles-ci vis-à-vis des générations futures.