Télétravail, une solution sans désir
Contraint durant le confinement et encore largement pratiqué depuis le déconfinement, le télétravail montre ses limites. Pour combler l’absence de rencontres physiques, il faudra bien réinventer des temps de partage qualitatifs, dans de nouveaux lieux propices à l’expérience collaborative en chair et en os. De quoi recréer le désir que le travail à distance a effacé.
Depuis plusieurs années le télétravail se déploie et s’expérimente, c’est tout sauf nouveau. Importé des États-Unis, surreprésenté dans les grandes métropoles françaises, il tardait à se mettre en place en France malgré les d’économies en mètres carrés de bureaux. La crise du Covid-19 a accéléré le mouvement par obligation, faisant voler en éclat les réticences sur le travail à distance. Solution souple et agile pour optimiser le temps des salariés et leur espace de bureau, le télétravail s’est clairement imposé comme le sujet phare des dernières semaines. Encouragée par le gouvernement, plébiscitée par les directions RH, sa mise en œuvre déstabilise toutefois les métiers pour lesquels, le temps de travail se compte en heures passées au sein de l’entreprise, mais également les managers en mal d’équipes à piloter. A mesure que le spectre de la pandémie semble s’éloigner de la France, une question affleure : quelle forme prendra le travail après la crise sanitaire ? Que restera-t-il du télétravail post-Covid-19 ?
Télétravail, seul ensemble
Concernant principalement les cadres, le télétravail est un sujet dont se sont emparé les entreprises. Avec un objectif : mieux gérer la présence des salariés au bureau. Accorder deux jours par semaine de travail à domicile pour les gens qui habitent à plus d’une heure de route de l’entreprise est devenue monnaie courante. Les entreprises adaptent les conditions à leurs contraintes. Le télétravail fait aujourd’hui l’objet d’un test grandeur nature. Il a été rendu possible par le développement d’outils à distance (web conférences vidéo, espaces d’archivage partagés, plateformes collaboratives, etc.) mais aussi par l’autonomisation des salariés.
Fini l’infantilisation, le télétravailleur définit ses propres objectifs et organise ses tâches comme il l’entend, à partir d’objectifs individuels fixés avec son manager. Cette évolution rejoint celle du travail en général, devenu nomade, mobile et interactif grâce aux nouvelles technologies. Si les avantages sont nombreux (confort, meilleure répartition du temps professionnel et personnel, gain de temps et d’énergie), le télétravail tend, néanmoins, à brouiller notre vision du travail. Comment trouver le sens du collectif dans un monde de plus en plus individualisé ? Peut-on vraiment travailler dans le même sens et pour l’intérêt de l’entreprise quand chacun opère ses missions de son côté ? Le télétravail est l’antithèse de la fameuse machine à café qui, bien souvent, incarnait un lieu de discussions, de défouloir comme parfois de décisions informelles.
« Le juste équilibre est dans une hybridation entre le travail à distance et le présentiel, l’erreur serait de remplacer le réel par le tout virtuel »
Non à la déshumanisation du travail
Pour que le travail à distance ne rime pas avec conditions de travail dégradées, l’impératif d’organiser de vrais temps de rencontre, de partage et des rendez-vous physique se dessine. Ce n’est pas un hasard si la notion de bien-être au travail a émergé, ces dernières années. Stress, burn-out, bore-out, l’évolution des relations entre collaborateurs sont aujourd’hui le reflet d’une économie sous tension, où la crainte de perdre son poste ou de se voir déclassé rend possibles tous les extrêmes. L’explosion des écrans et de la dématérialisation digitale (partage de fichiers, boîtes e-mail, agendas partagés…) ne va-t-elle pas entraîner le monde de l’entreprise sur la voie de la déshumanisation ? Pour que le travail à distance ne se transforme pas en désenchantement, il faudra veiller à toujours garder l’homme au centre du dispositif. Car déjà, le télétravail révèle ses travers et ses limites : horaires extensibles, volume de travail amplifié pour combler l’absence physique, hyper-contrôle des temps de connexion, désengagement involontaire vis-à-vis de l’entreprise… Certains scénarii d’entreprises américaines ressemblent davantage au Big Brother du 1984 de George Orwell qu’à l’image d’Épinal diffusée par les défenseurs du tout télétravail. Certes, les sirènes du travail à distance sont séduisantes mais il ne faut pas tomber dans l’écueil de l’automatisation où les tâches sont découpées, ultra-normées et les salariés isolés. L’entreprise ne relèvera le pari du télétravail que si elle parvient à recréer une bulle de confiance où les collaborateurs auront plaisir à se retrouver. Dans le respect des gestes barrières, les échanges auront lieu dans le cadre de micro-séminaires et en petits comités où il est facile de communiquer. Le monde d’après devra apprendre à entretenir les liens entre les salariés et nourrir leur engagement, par-delà la distanciation sociale imposée.
« En amour comme au travail la qualité de la relation entre les êtres est l’un des gages d’engagement et de durabilité »
Tiers-lieux, nouvel espace d’expérience collaborateur
La pandémie va ainsi mettre un terme – durant un temps, du moins – à ces grands événements de communion collective de plus d’un millier de personnes, spectacles sportifs ou culturels, conventions d’entreprise et autres team building où l’on se croise sans se rencontrer. La fin des grandes messes a sonné et ce n’est pas un mal ! D’autant que de nouveaux lieux à taille humaine émergent, plus propices aux retrouvailles et aux échanges. De l’ancienne pêcherie plantée au bord du littoral au corps de ferme réhabilité en résidence d’artistes, en passant par les éco-villages : les espaces hybrides sont de nouveaux terrains de jeux, de survie et des terreaux fertiles pour créer l’esprit de communauté d’une équipe, d’une entreprise ou d’une équipe projet. En reconnectant les individus au collectif et à la nature (via des activités de jardinage ou de cuisine, par exemple) dans un lieu inspirant et disruptif, de préférence déconnecté de toutes communications digitales, on recentre les salariés sur le sens, l’utilité de leur mission et sur leur rôle au sein du groupe.
« Se sentir utile, c’est aussi un moyen existentiel de réaffirmer son humanité et sa place dans le corps social. »
C’est à cela que serviront ces moments de partage, qu’ils aient lieu à Barbizon, dans des espaces de réunion atypiques, au cœur de la Drôme au milieu des oliviers ou les pieds dans l’eau, la tête dans les étoiles. Ces parenthèses enchantées seront l’occasion de s’écouter, se parler, d’apprendre sur soi et se reconnecter à l’autre. De nouvelles offres d’accueil des entreprises se développent dans ce sens, organisant des micro-séminaires « clés en main » ou encore des week-ends au cœur des territoires. Alors pour éviter que le travail à maison ne se transforme en chambre au bureau, l’enjeu est bien de raviver le désir au travail pour assurer l’avenir des générations futures.