Pour une relance « transitionnelle »

Avr 24, 2020 | Tribune des experts, Tribune Didier Havette

Pour une relance « transitionnelle »

Il n’y a cette fois-ci aucun doute, ça n’est contesté par personne : une relance de l’économie par la puissance publique est indispensable. C’est une évidence que semble-t-il aucun économiste, aucun politique ne remet en question. L’arrêt quasi-total de l’économie pendant 2 mois va causer, si rien n’est fait, des dégâts considérables, sans doute supérieurs à ceux qu’a causés le virus. Donc il faut y aller.

« Y aller », cela veut dire déverser des milliards d’euros. La question de la faisabilité d’une telle mobilisation d’argent public ne se pose pas, ne se pose plus. Elle s’est posée « avant », quand certains signalaient à quel point une engagement public massif était nécessaire afin de limiter au plus vite la dégradation de notre climat, de nos écosystèmes, de notre vie. On jugeait alors que des dépenses publiques massives n’étaient juste pas possibles.

Mais aujourd’hui, la menace d’un chaos, d’un effondrement social issu de l’arrêt de l’économie rend possible l’injection d’une quantité massive de financements publics dans l’économie (la relance). Ce phénomène, dans le registre de l’économie, est tout à fait comparable à ce qui s’est passé juste à l’étape précédente dans le registre de la santé, quand, de la même façon, la menace du virus a rendu possible ce qu’on aurait de toute évidence jugé impossible auparavant, à savoir un arrêt total de « tout ».

Il faut sans le moindre doute se réjouir de ces deux revirements successifs, de ces deux « impossibles » devenus des « possibles », voire des « indispensables ».

Oui, on peut se réjouir que cette dépense publique soit passée du côté du « possible ». Car elle est aujourd’hui (et depuis bien longtemps déjà) indispensable.

A la condition toutefois, que l’on veille à ce que ces financements soient fondamentalement utiles. Il s’agit à la fois, exercice difficile, de répondre à l’urgence, et de ne pas oublier l’avenir. A la fois de préserver un maximum d’emplois, et d’engager le virage forcé vers une économie différente, c’est-à-dire une économie capable de nous nourrir, de nous faire vivre dans les meilleures conditions possibles, une économie qui permettent la cohabitation des humains en paix entre eux et avec le reste du vivant

De quelle économie parle-t-on ? Le cap à viser n’est pas très compliqué, les caractéristiques souhaitables d’une économie au service de la vie sont simples à énoncer :

–      Une économie infiniment moins émettrice de gaz à effet de serre,

–      Une économie plus sobre en matériaux,

–      Une économie de l’utilité,

–      Une économie plus saine et plus sûre,

–      Une économie plus juste.

 

Il faut donc que cette relance soit pensée comme un plan d’investissement en vue de la construction de ce monde vivable, bâti à partir du monde bien réel d’aujourd’hui, avec le souci de négocier le virage de façon à limiter au maximum les risques de dégâts « collatéraux ».

Concrètement, cela signifie une dépense publique, européenne et nationale, d’abord orientée vers les équipements, les infrastructures indispensables à la société bas carbone qui seule permettra que la vie, la vie humaine et celle de tous les autres habitants de la terre, ne s’arrête pas, ni ne se dégrade de façon dramatique. Inutile ici de rappeler de quoi il s’agit. La liste de ce type d’investissements (des équipements de production d’énergie renouvelable, de transports moins émetteurs, en allant jusqu’aux bornes de rechargement dans les villes) a d’ores et déjà été établie à de multiples reprises. Hélas jusqu’ici toujours en en remettant à plus tard la réalisation ! Mais cette fois-ci, c’est le moment ! Et cette commande publique est aussi porteuse d’emplois.

Une dépense publique à mobiliser fortement dans la multiplication de formationsnécessaires pour rendre disponibles les compétences dont nous avons besoin pour construire et faire vivre cette société nouvelle. Un investissement massif pour que les salariés d’aujourd’hui (de l’aéronautique, de l’automobile, …) trouvent leur place et puissent apporter leur participation à cette construction. A tous les niveaux, dans tous les domaines, ils possèdent déjà une large part des compétences qui seront utiles pour transformer le monde.

Une dépense publique utilisée pour renforcer les services utiles à tous. Investie dans « les communs », dans ce domaine « en dehors des lois du marché » dont a parlé le Président lors de sa première allocution en début de crise. Ces services vraiment utiles, indispensables, qui sont hélas aujourd’hui souvent en bien mauvais état. Les services de santé et d’éducation, de sécurité et de justice, bien sûr, mais aussi les transports publics, les services publics de proximité …

Une dépense publique qui soutienne le développement d’outils de production plus proches, plus propres, moins émissifs, moins gourmands en matières. Une dépense publique qui accompagne le développement des outils de collecte, de traitement, de recyclage. Une dépense publique qui accompagne les PME dans les territoires

En tout état de cause, surtout pas une dépense publique qui, pour assurer un court terme toujours trompeur (ou bien pour satisfaire les demandes pressantes de quelques-uns qui y ont leurs intérêts), se déverserait sans condition, (en pure perte hélas), dans des secteurs de l’ancienne économie, pour juste leur permettre de faire strictement la même chose que jusqu’ici. La dépense vers ces secteurs doit elle aussi être autre chose qu’une rustine. Elle doit être un investissement, et donc être destinée à financer la transformation de ces industries pour qu’elles puissent apporter leur pierre au monde de demain, à partir des richesses (notamment en savoir et en savoir-faire) qu’elles possèdent d’ores et déjà.

Bien évidemment, cette relance « transitionnelle » n’est pas à elle seule suffisante pour parvenir à la transformation nécessaire. Bien évidemment, est également indispensable une prise de conscience par chacun des enjeux à venir et des changements à apporter à nos comportements individuels. Bien sûr nous ne pouvons tout attendre de l’État, et c’est aussi à chacun de nous d’agir pour la transformation. Oui, cette relance « transitionnelle » n’est pas suffisante, mais elle est, profondément, nécessaire.

-§-

Cette relance « transitionnelle », prometteuse d’un avenir préférable, risque de ne pas faire l’unanimité. Elle a toutes les chances d’être prise d’assaut par tant de lobbies, par tant de défenseurs d’intérêts particuliers, au mépris du bien commun.

C’est à chacun de nous de porter cette nouvelle économie tournée vers la vie.

Aujourd’hui, par la force des choses, les moyens pour la construire peuvent être là, à portée de nos mains, de nos bras. La perspective d’un tel chantier est formidablement enthousiasmante ! Elle peut donner un vrai sens au travail de chacun, à tous les niveaux. Elle peut être profondément mobilisatrice ! Il y a de quoi embarquer tous les citoyens, jeunes et vieux, riches et moins riches.

Alors, ne laissons personne nous empêcher de commencer de construire ! Ne loupons pas ce coche ! Portons ce projet dans chaque dimension de nos vies, au travail, dans nos loisirs, dans nos relations aux autres, dans toute notre relation au monde !

 

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