Faire du conseil en développement durable et en RSE » a-t-il un sens aujourd’hui ?

Nov 24, 2020 | Tribune des experts, Tribune Didier Havette

« Faire du conseil en développement durable et en RSE » a-t-il un sens aujourd’hui ?

Tout ce qui nous bouscule aujourd’hui jette un énorme point d’interrogation sur l’avenir de nos sociétés. Bien plus qu’auparavant, la poursuite de notre chemin, la prolongation de notre (nos) mode(s) de vie, apparaissent incertains. Les notions même de développement, de croissance sont questionnées.

Alors, s’il n’est plus question de développement, l’idée de « développement durable » n’a plus aucune pertinence, plus aucune réalité. Pire, associer les termes « développement » et « durable » reviendrait à construire un oxymore.

Pour celui ou celle qui, par souci de donner du sens à son activité, a décidé de proposer du « conseil en RSE », cela pose une sérieuse question. Comment en effet accompagner une entreprise dans la construction et la mise en œuvre d’une « stratégie RSE ancrée sur les principes du développement durable » si développement et durabilité sont incompatibles ?

La réponse ne coule pas de source. Mais il existe peut-être une issue : une pratique du métier qui, tout en accompagnant l’entreprise dans la meilleure gestion de ses impacts, vise in fine à accompagner les acteurs de l’entreprise vers une meilleure prise de conscience de la gravité des enjeux environnementaux et sociaux auxquels il nous faut faire face.

 

Basculer vers d’autres croissances

Des interrogations importantes sur notre avenir, nous en avons déjà vécues, par exemple des années 60 jusqu’au tout début des années 90. La guerre froide, la « dissuasion nucléaire » faisaient peser sur la poursuite de l’existence même de notre monde une menace bien présente. Cependant, la réalisation de ce terrible risque reposait sur l’éventualité d’une action bien précise d’un des dirigeants de l’une des nations dotées de ce « superpouvoir » nucléaire. A l’inverse, aujourd’hui, les risques auxquels nous sommes confrontés n’ont nul besoin, pour se réaliser, de l’action de quiconque. Bien au contraire c’est l’inaction de tous, dont les dirigeants, qui rend leur réalisation de plus en plus inévitable, et même, hélas, déjà présente dans nos vies.

Pour que le pire n’arrive pas, il nous faut agir. Et pas agir à la marge, pas agir pour « arranger les choses ». Mais agir de façon … « radicale ». Il nous faut changer « radicalement ». En particulier, il nous faut revoir notre conception même de l’économie, passer d’une économie où rien n’existe hors d’une logique de « toujours plus » à une économie de la sobriété. Simplement parce que la logique qui préside à notre façon de penser l’économie nous conduit d’une part à consommer bien plus de ressources que notre planète n’en fournit, et d’autre part, à produire bien plus de gaz à effet de serre qu’elle n’est capable d’en absorber sans dérèglement du climat. Il s’agit d’aller vers la sobriété.

Il nous faut donc revoir notre conception de la « croissance » et du « développement », pour les sortir du « toujours plus ». C’est d’une autre croissance, d’un autre développement dont nous avons besoin aujourd’hui :

–      Croissance et développement de notre conscience d’humains-éléments du grand ensemble du vivant, qu’il nous faut participer à préserver ;

–      Croissance et développement de l’attention portée aux autres, humains et « non-humains » ;

–      Croissance et développement des solutions « sobres », de modèles circulaires, de logiques de fonctionnalité, de coopération,

–      etc.

 

A la recherche d’un alignement 

Avec un tel constat en tête, celui qui a choisi de faire conseil en RSE ne doit-il pas quitter le navire de « l’économie telle qu’elle est aujourd’hui », et se lancer dans les pistes de construction de « l’économie telle que l’on pense qu’il faudrait qu’elle soit » ? Ne doit-il pas laisser tomber les entreprises d’aujourd’hui pour se consacrer à créer le monde de demain ?

S’il répond par l’affirmative à ces questions, une autre va venir assez vite : « quel pourrait bien être le modèle d’affaire quasi-miraculeux qui me permettrait tout à la fois de construire cette nouvelle économie et … de continuer de gagner ma vie ? ». Lui qui a justement choisi de travailler sur ces sujets de développement durable pour aligner au mieux sa façon d’être rémunéré et ses préoccupations environnementales et sociales se trouve face à une nouvelle impasse.

Et le dilemme s’énonce clairement : « vais-je continuer de gagner ma vie en ayant une pratique professionnelle dont je perçois qu’elle n’est peut-être qu’un leurre ? ».

Une solution apparaît, qui consiste à avoir d’une part, pour participer à la construction de « l’économie telle que l’on voudrait qu’elle soit », une activité dans le registre du militantisme, et d’autre part, pour gagner sa vie, son activité de conseil en RSE.

Cependant, pour que cette solution soit le plus satisfaisante possible (ou le moins insatisfaisante), il lui faut imaginer une nouvelle conception de cette activité de conseil, ou peut-être un nouvel objectif. Il ne s’agirait plus au final d’aider l’entreprise à réduire ses impacts négatifs et à développer ses impacts positifs. Il s’agirait en fait, à travers ou grâce à la relation nouée avec l’entreprise (c’est-à-dire avec celles et ceux qui la font) à l’occasion de cet accompagnement, d’améliorer la prise de conscience de l’impasse dans laquelle nous sommes engagés.

Au bout du compte, le métier peut rester quasi-inchangé, mais sa pratique, son exercice se font « en pleine conscience » de ses limites, et avec un objectif à la fois plus ambitieux et plus réaliste : participer à la mise en évidence de la nécessité absolue d’un changement de paradigme.

 

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